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TEST · REVIEW · CRITIQUECONSOLE SUPER FAMICOM (16-bit)


Tout seul, dans le noir, j'ai peur, j'ai peur, je l'entends qui approche...

Clock Tower

Clock Tower

クロックタワー
Suppléments:
Argento,
ou l'Influence Filmique

Fins et
Autres Surprises

 Super Famicom

Développeur:
Human

Editeur:
Human
Genre:
Aventure / Horreur

Joueurs:
1P

Dates de sortie
14.09.1995 Japon
bonne Difficulté:

93%Graphismes
92%Animation
90%Son
86%Jouabilité
80%Durée de vie

93%93%

Quatre jeunes filles de l'orphelinat Granite ont trouvé une famille adoptive, les Barrows, qui ont décidé de les élever toutes ensemble. Par une morne journée d'automne, Laura, Ann, Lotte et Jennifer sont conduites par Mrs Mary Barrows à la demeure familiale, un vaste manoir surmonté de son propre clocher dominant la sombre forêt qui l'enveloppe. Les orphelines sont immédiatement saisies par la grandeur du hall d'entrée et tandis que leur hôtesse va chercher son mari, elles se mettent à échanger leurs premières impressions. Mais la discussion finit par s'éteindre et Mrs Mary ne revient toujours pas. Qu'est-ce qui peut ainsi la retenir ? Jennifer décide d'aller s'enquérir. Derrière la porte, il n'y a qu'un petit couloir vide. Alors qu'elle hésite sur la direction à prendre, un hurlement déchirant venant du hall la pétrifie sur place. Revenue sur ses pas, elle découvre la pièce plongée dans les ténèbres et, plus troublant encore, sans la moindre trace de ses amies. Jennifer devra faire face toute seule à l'indicible cauchemar de Clock Tower.

Les consoles contemporaines, Playstation incluse, ont popularisé et exporté l'horreur en jeux vidéo mais ne l'on pas inventé; le sang coulait déjà en deux dimensions. On trouve, au Japon, quelques jeux sur ce thème sensible dès la 8 bits de Nintendo. Mais Clock Tower lui est bien plus intéressant car il tourne sur Super Famicom, et tire utilement parti des capacités de la console pour créer une atmosphère réaliste et oppressante. Sorti en 1995, un an avant le tout premier Resident Evil, il ouvre la voie de ce qu'il est possible d'accomplir en matière de frissons sur consoles. Ou comment terrifier ce petit être émotif qui s'accroche à sa manette comme à la corde suspendue au dessus du vide.

De l'aveu de son créateur, Hifumi Kouno, Clock Tower n'est pas juste un pot-pourri de films d'horreur, c'est un hommage à l'un de ses plus grands artisans, le réalisateur italien Dario Argento, le maître du giallo, genre qui sur grand écran mélange suspense et violence gore. Plusieurs de ses longs métrages auront servi au développement du jeu, que ce soit dans des scènes ou des détails, mais c'est sans doute Phenomena, réalisé en 1985, qui aura eu l'influence la plus évidente. L'héroïne du jeu ressemble à celle du film et porte le même nom, les jeunes filles ne vont plus au pensionnat mais au manoir de leurs parents adoptifs. Clock Tower n'est pourtant pas un jeu gore. Contrairement à un film d'Argento, la violence tourne court quand elle commence et le sang ne gicle jamais, on a d'ailleurs très peu d'occasions d'en voir. Ce qui compte pour les auteurs, c'est d'instiller la peur dans le joueur. Lui faire hésiter à tourner la poignée de porte puis lui faire regretter d'avoir osé.

Dans la carrière bien remplie de Human Entertainment sur Super Famicom, Clock Tower est le volet d'une espèce de trilogie peu orthodoxe que les Japonais appellent la "Panic Soft Series", où le point commun sont les situations qui suscitent un sentiment de panique. Cette trilogie trouve apparemment son origine dans la toute première école de game design fondée par Human en 1990, car elle serait l'idée de quelques-uns de ses jeunes diplômés. Elle se constitue de Clock Tower, de The Firemen et d'un troisième jeu dont nous vous parlerons l'année prochaine. Clock Tower est toutefois le seul du groupe à verser dans l'horreur et le surnaturel, le seul aussi dans lequel on est poursuivi par un tueur psychopathe qui aimerait bien nous trancher la tête, le seul à ne pas avoir été traduit en anglais.

L'interface du jeu est ce que les anglophones appellent le "point and click", on dirige un curseur à l'écran qui permet de commander les actions et déplacements du protagoniste sans que l'on soit jamais directement en contrôle de celui-ci. Mais à la différence des jeux Lucasarts par exemple (Maniac Mansion, Monkey Island), la jouabilité a été grandement simplifiée: on ne dispose pas de commandes textuelles, l'inventaire est réduit au minimum et l'on agit sur un seul plan, la perspective étant gérée automatiquement. Les boutons de la manette ont tout de même l'occasion de servir, outre celui d'action, les autres permettent de faire courir Jennifer, de l'immobiliser et de voir les objets en sa possession. Sans oublier B, le "Panic Button", nous y reviendrons. C'est un jeu très simple dans le fond, même les énigmes ne sont pas vraiment des casse-têtes mais plutôt un mélange d'exploration et d'attention favorisant la logique narrative. Souvent, pour se débloquer, il faut juste avoir observé quelque chose à l'aide du curseur; cette connaissance acquise permettra ensuite de déclencher une autre action.

Le déroulement imprévisible de l'aventure, l'angoisse omniprésente, font qu'on ne se soucie pas trop de cette faiblesse, du peu de profondeur de la jouabilité. L'atmosphère, superbe d'efficacité, compense initialement tous les défauts; on les voit à peine. Cela change une fois qu'on connaît bien le jeu et qu'on l'a terminé, la plupart des mécanismes pour avancer paraissent répétitifs: trouver une clef, un objet, passer à une autre salle. Et l'on marche, et l'on marche. Mais on y revient quand même avec plaisir car les auteurs ont été très astucieux sur ce point aussi, l'emplacement de certains évènements et certaines salles est défini aléatoirement en sorte que les résultats diffèrent d'une partie à l'autre. Et pour cause ! Le véritable but du jeu est de voir chacune des 10 fins qui existent. Il y a même un écran spécial pour ça qui enregistre les progrès du joueur. Une idée fantastique pour étendre le champ d'action d'un jeu finalement assez restreint, le manoir étant plus petit qu'il n'y paraît une fois qu'on s'en rappelle le plan.

Ce qu'il y a de fascinant avec Clock Tower, c'est qu'il chamboule certains acquis. On n'a pas l'habitude d'avoir peur dans un jeu vidéo (du moins en ce temps-là), cela rend les nombreux incidents inventés par Kouno et son équipe d'autant plus cinglants. Même si l'introduction, puis la scène jouable dans le hall, nous mettent immédiatement dans le bain, on a certaines préconceptions sur la façon dont un jeu de ce genre, un jeu d'aventure au curseur, est censé se dérouler que seule une bonne peur bleue permettra de chasser. Au début donc, au joue le plus naturellement du monde (quoique avec un peu de réserve) en découvrant les salles et en touchant à tout ce qui peut l'être. Et puis commencent à se produire des évènements bizarres. Un appareil qui se met tout à coup en marche, quelque chose entrevu, là, par la fenêtre. Qu'est-ce que ça veut dire ? Et pourquoi cet interrupteur ne marche-t-il pas ? On se rassurerait presque en prétendant que ce sont des bugs.

Mais cela s'intensifie. On effectue une action ordinaire et une image morbide, digitalisée, totalement imprévue et donc aisément choquante, s'affiche en retour à l'écran. Ca y est ! les auteurs ont réussi à nous arracher une réaction de surprise, ne serait-ce qu'un "Ah !" d'incrédulité. On revient sur ses pas (manière posée de prendre la fuite). Par inadvertance, on répète une interaction qu'on avait déjà essayée. De nouveau, choc, quelque chose de totalement différent, d'effrayant, se produit. A partir de cet instant, par l'intervention de la peur, l'habitude est remplacée par la prudence. La plus banale des actions, franchir une porte ou fouiller un tiroir, jusqu'à ces petits pas qui nous rapprochent de l'inconnu, sera dorénavant teintée d'angoisse, car on sait que quelque chose de terrible peut en résulter. Human a gagné, la peur est en nous.

Malheureusement pour notre assurance, ça ne s'arrête pas là. Avoir peur intérieurement est une chose, le montrer, par des réactions physiques (tressauter, crier, rire nerveusement pour se rassurer...), en est une autre. Peut-être que la rencontre avec Scissorman sera capable de déclencher un tel moment d'hystérie libératrice ? Scissorman, c'est un nabot difforme qui poursuit Jennifer en tenant dans ses menottes atrophiées une énorme paire de cisailles, suffisamment larges pour qu'un cou y passe comme une brindille. Il a un faible pour les entrées retentissantes et soudaines, également pour apparaître là où il n'apparaissait pas auparavant, ce qui le rend redoutablement éprouvant pour les nerfs, comme la musique fracassante qui l'accompagne. Il donne envie de prendre les jambes à son cou et c'est exactement ce que Jennifer doit faire.

Tant que la musique ne s'est pas apaisée, Scissorman est susceptible de se montrer, au détour d'un couloir ou même en entrant dans une salle, alors Jennifer doit chercher une cachette ou un moyen de repousser l'impatient petit meurtrier. Les auteurs, bien conscients de la valeur de leur épouvantable invention, ont programmé quantité de situations originales où Scissorman agit selon la pièce dans laquelle on a trouvé refuge, parfois même de plusieurs façons différentes, en sorte qu'on ne sait jamais trop à quoi s'attendre. Cela fonctionne abominablement bien, comme l'enfant qui se régale de faire sursauter ses parents. Le principe d'un jeu classique est basé sur la répétition: on essaye toujours et encore la même chose jusqu'à pouvoir avancer plus loin. En changeant certains détails de ces répétitions, en perturbant la routine avec l'inattendu, Human est capable de provoquer des sensations inédites, ici la peur. C'est un superbe exemple de maîtrise d'un caractère unique du support jeu vidéo, comme le sont les figures de style en littérature ou le montage au cinéma.

Jennifer ne possède pas de barre de vie, une photo au bas de l'écran nous montre son visage et les émotions qui le traversent. Lorsque le fond est rouge, la jeune fille est au plus bas et elle est alors vulnérable. Cela signifie que si elle est confrontée à une situation critique, elle est certaine de mourir. Lorsqu'une de ces situations se présente, la photo se met à clignoter et il faut vite appuyer sur le Panic Button pour s'en sortir. Cela a lieu par exemple quand on entre en contact avec Scissorman dans les corridors ou quand une créature nous attaque, car il y a quelques autres esprits malfaisants dans les recoins du manoir. Ce système de bouton contextuel rappelle les fameux "jeux interactifs" qui ont fait la gloire comique de supports maudits comme le CD-i de Philips. C'est vrai que par moments la jouabilité limitée renvoie Clock Tower à ce type de produits, mais parmi ces gueux, le titre d'Human fait figure de dieu macabre.

Mésestimer l'importance du graphisme et du son dans le succès de Clock Tower serait une faute considérable de jugement. Aucun d'eux n'est irréprochable pourtant. Les couloirs de chaque aile se ressemblent tant qu'on a beaucoup de mal à s'orienter au début, certaines salles sont si dépouillées qu'on les croirait inhabitées et parmi elles les débarras sont trop nombreux. Mais le style graphique est exceptionnel, avec d'occasionnelles images digitalisées pour ponctuer les découvertes clés, et un travail impressionnant fait sur la lumière. L'obscurité semble en permanence sur le point de recouvrir le peu de clarté qui se dégage des lampes, les zones d'ombre s'étalant sur les murs et le mobilier comme des spectres. Plus on avance dans le manoir, plus les ténèbres s'épaississent, jusqu'à la descente hésitante dans les grottes. Plus aussi les couleurs deviennent agressives, bizarres: mauve, pourpre, violet, rouge sang. L'influence visuelle de Dario Argento bat ici son plein.

Quant au son, son arme principale, c'est le silence. La musique est complètement absente de la plupart des phases normales, il n'y a que les bruitages épars pour nous tenir compagnie, le claquement du talon sur le parquet, le cliquetis des interrupteurs. Lorsque le silence est rompu, ce n'est jamais bon signe et c'est souvent avec violence. Les petites notes inquiétantes qui précèdent un mystère ne sont jamais bien loin des accords stridents marquant l'arrivée de Scissorman. Les bruitages ont aussi le chic pour mettre mal à l'aise, cette sonnerie de téléphone que personne ne décroche, les battements d'ailes des oiseaux terrifiés, les hurlements perçants, le mugissement rauque du vent. Et la scène du piano ! Culte et sans Sonate au clair de lune !

Très restreinte, l'animation n'en est pas moins un autre sujet de satisfaction. Seuls les personnages et des fragments du décor sont animés, mais énormément d'énergie a été dépensée dans la réalisation des premiers. C'est qu'ils doivent se comporter comme des êtres en trois dimensions, offrir autant de réactions différentes que les situations variées l'exigent. On ne peut pas vous dire le nombre de frames d'animation qu'il faut juste pour faire vivre Jennifer, mais il y a fort à parier qu'il surpasse celui d'autres jeux, y compris Aladdin et Flashback. N'oublions pas enfin le scénario. Assez bien ficelé, prenant, il apporte des réponses aux nombreuses questions qu'on est en droit de se poser: qui est Scissorman ? qu'est-il arrivé aux Barrows ? où sont les trois orphelines ? quel est le secret du manoir ?

Contrairement aux autres jeux de la trilogie Panique, Clock Tower fut ensuite porté sur Playstation avec le sous-titre The First Fear, ainsi que sur PC et sur Wonderswan, la console portable de Bandai. Les versions de salon possèdent des ajouts, scènes et images, et même des informations complémentaires dont on aurait bien pu se passer (l'histoire se déroulerait en Norvège, ridicule !). Cet épisode Super Famicom donna également lieu à des suites, toutes en 3D et sur les consoles de Sony. La dernière en date, Clock Tower 3, sortie en 2003 sur Playstation 2, fut éditée par Capcom, Human ayant depuis longtemps rendu l'âme. Mais ce qui met le petit monde très fermé de Clock Tower en ébullition en ce moment, c'est la préparation d'un long métrage. Non, pas un de ces films amateurs niais faits par des adolescents de 30 ans, un vrai film d'Hollywood avec des blondes pulpeuses, des gros bras, des effets spéciaux par millions de dollars. Bref, une de ces insondables bêtises qui ont autant de rapport avec le jeu vidéo que nous avons de rapports avec les blondes d'Hollywood.

Le Japon a une longue tradition dans le domaine de l'épouvante. Elle perdure depuis des siècles et grâce aux moyens d'expression les plus divers, jusqu'aux films et jeux vidéo de l'époque contemporaine. L'intérêt des Japonais pour le sujet n'est pas né d'hier, et cela explique sans doute pourquoi ils le maîtrisent si bien. Même si les auteurs s'imprègnent ici de l'univers d'un fameux réalisateur européen — et sans doute aussi de quelques mangas de Kazuo Umezu, on pense aux ciseaux en particulier — Clock Tower est une création bien à eux, une oeuvre avec une forte personnalité véritablement unique en son genre. Rarement a-t-on vu un jeu 16 bits avec une ambiance aussi pesante, où l'angoisse nous étreint à chaque action. Rarement les silences dans un jeu vidéo ont-ils été aussi profonds et les décors aussi minutieusement sculptés par la lumière. Rarement les possibilités ont-elles été aussi nombreuses et les finalités, ending comme dead end, aussi variées.

A cause de cette multiplicité, le jeu souffre aussi de certaines limitations: s'il y a d'innombrables voies pour arriver au même but, toutes sont très courtes, et une fois apprises, il ne faut que quelques modestes minutes pour en voir le bout. Mais cela, au fond, n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est ce qui se passe avant, toutes les découvertes, tous les moments de terreur, les fuites ratées qui finissent sous la lame insatiable du Scissorman, les tourments insignifiants qui à force de patience parviennent à nous tuer, les mystères insolubles, l'inquiétude croissante. Longtemps après, on trouve encore de nouvelles choses, signe caractéristique des meilleurs jeux. Mais le signe déterminant de son génie, c'est que même en connaissant Clock Tower sur le bout des doigts, même en sachant ce qui va se passer au fond de ce couloir sombre, la peur que l'on ressent en incarnant Jennifer enfermée dans le manoir des Barrows ne nous quittera jamais plus.

le 31 octobre 2009
par sanjuro



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