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TEST · REVIEW · CRITIQUECONSOLE NINTENDO ENTERTAINMENT SYSTEM (8-bit)


Moins un test qu'un hommage. Castlevania, ou le triomphe de Dracula.

Castlevania

Castlevania

悪魔城ドラキュラ (Akumajou Dracula, trad: "Château-Démon Dracula")
Suppléments:

Affiche Promotionnelle Japonaise
Test associé:

Dracula Kid (FC)

 NES

Développeur:
Konami

Editeur:
Konami
Genre:
Action

Joueurs:
1P

Dates de sortie
26.09.1986 Japon
05.1987 USA
1988 Europe
19.12.1988 Suède
très dur Difficulté:

84%Graphismes
83%Animation
95%Son
90%Jouabilité
86%Durée de vie

88%88%
Trucs et astuces

1000 points:

Au début du jeu, sautez par dessus de l'entrée du château pour voir apparaître 1000 points.

Mode difficile:

Après avoir fini le jeu, vous redémarrez automatiquement dans ce mode. Les ennemis sont plus nombreux et des bonus cachés ont été ajoutés.

"Bonsoir" murmure une voix suave à votre oreille. Vous bondissez de votre chaise comme un diable de sa boîte. Vous étiez tranquillement en train de jouer à Castlevania, lorsque soudain, cette voix. Le choc est si violent que vous vous effondrez sur le dos, paralysez de la tête aux pieds; votre coeur est comme gelé dans la poitrine, arrêtant d'une commande unanime toutes les fonctions de votre corps. Mais vous êtes toujours en vie. A l'écran, Simon Belmont s'écroule, terrassé par une chauve-souris. Vous sentez que votre propre game over n'est pas loin lui non plus.

Vous ne pouvez distinguer votre invité surprise se tenant hors de votre champ de vision, dans la pénombre de la pièce. Vos sens pourtant ne mentent pas, à défaut de le voir, vous sentez sa présence, sa stature gigantesque, et une terreur grandissante vous envahit. Qui qu'il soit vous êtes à sa merci, vous êtes mort. Ou malheureusement, vous ne l'êtes pas encore, et c'est ce qui vous en sépare qui vous remplit d'un effroi à perdre l'esprit. Sa silhouette se meut dans l'obscurité. Il s'approche, s'agenouille, pose sa main sur le sol. Vous la voyez glisser comme une couleuvre vers votre poing crispé. Une sensation glaciale vous traverse, vos mains se sont recontrées.

Délicatement, il desserre l'étreinte de vos doigts pour en extraire la manette NES. La tenant d'une seule main, nonchalamment, il s'assied contre le mur, un genou plié, l'autre jambe étendue. Une vague semble s'agiter derrière lui, suivi d'un froissement, c'est une cape. A la lumière du téléviseur, vers lequel il s'est tourné, vous distinguez, sans vraiment le voir, un visage aux traits fins et anguleux. "J'aime ce jeu moi aussi" dit-il, rompant de nouveau le silence. "J'aime la perspicacité des hommes, et leur persévérance. On les trouve toutes deux dans ce jeu, ne crois-tu pas ?" Pour toute réponse, vous voudriez hurler ou crier au secours.

"...mais tu ne peux pas" ajoute-t-il, en finissant votre pensée. "Alors économise tes forces, jeune chasseur, il serait dommage de précipiter ton départ. N'est-il pas étrange que l'ancienne légende d'une ténébreuse contrée d'Europe fut façonnée en un divertissement dans l'archipel du Japon ? J'ai bu le sang des orientaux, peut-être parmi eux se trouvait l'un des artisans de Konami. Nul n'a cependant entendu parler d'une famille Belmont. Ceux qui viennent me troubler ont rarement l'occasion de laisser derrière eux des descendants, moins encore s'ils ne sont armés que d'un ridicule fouet."

Vous voudriez lui dire que ce fouet n'est pas ridicule, vous aimeriez même lui en faire tâter, lui montrer que toutes ces heures passées en compagnie de Simon vous ont appris comment manier l'arme avec une précision mortelle. Et puis qu'il y a aussi les bonus pour en améliorer la force et les autres armes, le boomerang, la hache, le sabre, l'eau bénite, ou même la montre, pour arrêter le temps. "Crois-tu qu'arrêter le temps te servirait à grand chose dans l'état où tu es ? Et pour utiliser les armes, il faut des coeurs, et le tien, malheureux, est déjà à moitié rompu."

"Regarde ton ami Simon, le nombre de vies qu'il lui faut pour espérer m'atteindre, et de continus ! Une infinité. Mais moi aussi je peux produire des infinités. Mes cohortes de monstres sont aussi vastes que les puits de l'enfer, et elles t'ont bien fait souffrir n'est-ce pas ?" Vous sentez un sourire se dessiner sur ses lèvres, malice et sarcasme se mêlent dans sa voix. Soudain, sans avertissement, avec la brutalité d'une bête féroce sautant à la gorge de sa proie, votre interlocuteur bondit vers votre tête, reposant parfaitement immobile sur le sol, comme le fruit tombé d'une arbre aux pendus.

"Dois-je te rappeler leur nom ?" vocifère-t-il à votre oreille "Ne te souviens-tu donc pas des créatures maudites de mon château qui te tourmentèrent à t'en faire perdre la raison ? Les hommes-poissons et les fantômes voulant t'étreindre jusque dans la tombe, les corbeaux et les méduses te poussant toujours et encore dans le vide, les chiens nimbés de rouge te pourchassant sans relâche, les squelettes de dragon durs comme la pierre, et les bossus, ces infâmes petits bossus, lâchés par des aigles esclaves de ma cruauté. As-tu oublié ces nuits d'angoisse et de folie où tu jurais au nom d'un Dieu maintes fois renié que tu finirais Castlevania ?" Tout en ricanant, il retourna se rasseoir. "Mais tu n'as jamais réussi, n'est-ce pas ? Castlevania est trop dur pour toi." Et il éclata de rire.

"Mon double fantasmagorique - virtuel dirais-tu - avait une bien terrible armée à son service. Chaque fin de niveau t'offrait un défi dont rarement tu te relevais, parfois même tu n'arrivais pas jusque-là. Un simple oiseau ou le bloc grossier d'une statue suffisait à t'anéantir. Mais inlassablement tu prenais le continu, tu recommençais le périple à travers le château, autant sous le coup de la rage que d'une patience virtueuse. Et les pointes ? Te rappelles-tu des pointes ? Elles te faisaient peur, tu n'osais plus t'en approcher, tout comme les gouffres et la mort qui t'y attendait t'affligeaient de vertige. Chaque pixel de Belmont écrasé sous leur pression devenait un morceau de ton corps réduit à néant."

"Tu te consolais avec l'esthétique, tu te servais d'elle pour te bâtir une foi. Tu avais besoin de croire que tu pourrais me vaincre, quand bien même tu savais avoir perdu depuis longtemps cette vie unique qui soutient ta fragile carcasse humaine. L'image et la musique te tenaient lieu d'église et de prêtre. Le graphisme t'attirait et en même temps te repoussait, comme une femme séduisante dont le vice te répugne et t'obsède. Ces blocs à perte de vue, ces chandelles, ils te hantaient jusque dans tes rêves. Tu les voyais, tu les brisais, espérant trouver la viande, la carne, la chair salvatrice. Comme moi tu te repais de sang, mais la différence de nos corps est aussi celle de nos âmes, la viande sale des animaux à ta préférence là où la mienne va pour la chair noble des hommes."

"Parfois c'était plus que tu ne pouvais en supporter, tu te jetais à genoux et implorais, implorais de la pitié, un répit. Et pour toute réponse, la console chantait pour toi des airs que tu n'as jamais oublié. Ils sont encore dans ton coeur, dans ses faibles battements on reconnaît indistinctement les airs lointains de mon château de Castlevania: des musiques héroïques, des invitation à pourfendre le mal dont tu croyais voir en moi, naïf petit chasseur, l'unique incarnation. Et ces chants de guerre te portaient, t'encourageaient, te donnaient un semblant de victoire là où en réalité seule mort et tourment t'attendaient. Il y avait les bruits pour te le rappeler, des bruits crus, secs et froids, des claquements, des grincements, des frottements. Des bruits de mort."

Il s'est tu. Le silence règne, persiste.

Mais sa nature est artificielle; vos oreilles distinguent un bourdonnement dont vous n'arrivez pas à identifier la provenance. Est-ce les entrailles de la télévision, chauffées à blanc ? Ou le voyant rouge sang de la NES qui vous épie ? Cela semble plus près, cela semble en vous. Peut-être votre faible et difficile respiration, ou l'intérieur même de votre crâne, battu par les pulsations d'un coeur broyé par une force invisible ? Mais lorsque soudain ces doigts vous caressent le coin des lèvres, vous comprenez. C'est lui, invisible parmi les ombres, qui s'est glissé de nouveau auprès de vous, un imperceptible sifflement s'échappant de sa bouche. Ses yeux sont fixés sur vos lèvres, d'où il retire lentement ses doigts. Du sang en tache les extrémités. "Tu t'es mordu." dit-il simplement.

Il est retourné se rasseoir. Le mot "mort" semble encore raisonner dans la pièce, arrachant en vous le peu de force qu'il vous reste. La résignation a succédé à la colère, le désespoir à la terreur. "Qui t'aura fait le plus souffrir, moi ou le jeu ?" demande-t-il avec ce qui ressemble à de la sincère curiosité. "Je sais dans quel tourment il t'aura plongé." De l'ongle de son index, il appuie sur le bouton Start de la manette, reposant désormais sur le plancher. Simon s'avance aux grilles de Castlevania, tandis que les nuages s'écartent, dévoilant le château du comte. "La maniabilité te rendais fou, disais-tu. Ton unique espoir reposait sur ce malheureux incapable de sauter plus haut que quelques blocs. Tu te plaignais sans cesse de sa masse lourde et tombante, tu te lamentais sur l'impossibilité de tourner une fois un saut entamé. Tu en venais à souhaiter qu'un autre héros de tes jeux vienne tuer Simon Belmont pour lui prendre sa place. Et ce fouet dont tu te dis si fier, tu l'exécrais aussi quand il redevenait si court, une simple langue de chauve-souris."

"Où se trouve donc ton amour pour ce jeu ? Je ne vois en toi pour lui que haine et désarroi. Tu ne le jouais pas, tu le vivais comme on traverse une épreuve ou une torture. Et encore à ce jour, tu y reviens avec les mêmes penchants et la même passion destructrice. C'est grâce à elle que je suis venu ce soir, ton appel a été si fort, nourri par tant d'années de douleur sous la domination de mon double que tu m'as tiré de mon sommeil éternel. Voilà ton grand succès, celui que toi seul a atteint, la vraie fin de Castlevania qui s'ouvre enfin à tes yeux et que tu n'aurais pu en aucun cas prévoir: ta propre mort." A l'écran, Simon se bat avec majesté, sans perdre une seule vie, sans commettre la moindre erreur. Il franchit les salles du château une à une comme jamais vous n'auriez pu le faire. La manette pourtant repose seule et immobile.

"Comme il m'est simple de diriger celui censé me détruire." dit-il le visage tourné vers le téléviseur, un mince sourire dévoilant une canine longue et à l'émail brillante. Son rire éclate de nouveau, comme le murmure d'une armée de démons. "Dracula dirigeant Simon Belmont, Dracula contre Dracula ! Que penses-tu de cela ? Lequel de nous deux gagnera, penses-tu ?" Simon gravit les étages menant jusqu'au boss de la grande faucheuse. Vous n'étiez jamais arrivé jusque-là, massacré en chemin par les autres créatures du château. Mais sa réputation a précédé la Mort, et vous connaissez ces rumeurs de joueurs, Renfield du jeu vidéo, emmenés à l'asile après avoir perdu la raison pour ne l'avoir jamais vaincue. L'esprit de Dracula n'indique pourtant aucune faille dans le contrôle psychique qu'il impose sur Simon. Il anéantit les faucilles une à une, sans jamais être acculé, sans jamais perdre de vue son ennemi principal qu'il roue de coups et qui finit par disparaître dans un voile de flammes.

Votre sort est attaché à celui du jeu, vous en êtes convaincu, dès lors que Dracula l'aura terminé, il se tournera vers vous pour vous achever. Et il avance vite dans ce dernier niveau, une progression inexorable. Là où vous deveniez la patûre des monstres, Dracula leur impose obéissance de son fouet: le maître parmi ses esclaves. Vous vous concentrez sur vos muscles, ils semblent se dégourdir, oui, vous avez bougé vos doigts ! L'attention de Dracula est toute dévouée au jeu et l'étreinte mentale qu'il exerçait sur vous se relâche. Peut-être pourriez-vous réunir assez de force pour l'empaler avec la pointe centrale de la manette Nintendo 64 qui repose non loin de vous ? Mais il faut faire vite. Simon grimpe un escalier que vous reconnaissez grâce à Super Castlevania IV qui le reproduisait, c'est celui qui mène au cercueil de Dracula.

Vos forces vous sont presque entièrement revenues. Lentement, vous avancez la main vers la manette. Dracula ne laisse aucune chance à l'autre Dracula, lui assenant coups de fouet sur coups de fouet, arrêtant la moindre de ses boules de feu avec le boomerang. "Mon double me ressemble bien peu. Cette laideur est celle de Nosferatu." La tête du Dracula à l'écran s'est envolée, une bête effroyable surgit, Dracula dans sa forme finale, Super Castlevania IV ne vous y avait pas préparé cette fois-ci. La surprise de joueur de Dracula est visible elle aussi. "Voilà une bien hideuse créature" dit-il avec un sourire narquois "il faudra que je pense à punir celui qui a osé me représenter de la sorte." Son attention a glissé de nouveau et vous vous sentez en pleine possession de vos moyens.

La manette de la Nintendo 64 bien calée dans votre main, vous vous relevez tout doucement. Les yeux de Dracula sont rivés à l'écran. Entièrement absorbé dans le combat contre le monstre, il en est venu à saisir la manette de la NES et à l'utiliser. Le moment est presque venu. Dracula inflige le coup final à Dracula. La bête meurt, le château s'effondre, et vous vous ruez sur le comte en visant son coeur de la pointe de la manette. Un cri retentit, inhumain, mais un cri de défaite.

Dracula a gagné. Il a terminé Castlevania et vous a arrêté net d'un geste de la main. Vous vous êtes effondré de nouveau, paralysé avec plus de violence encore que la première fois. Le sang gonfle vos veines, comme sur le point d'éclater. Le comte se glisse vers vous, ricanant. Etourdi par la chute, son visage vous apparaît soudain cruel et abominable. "Que croyais-tu faire, pauvre humain ? Celui sous mon contrôle l'est pour toujours. Moi aussi j'aime jouer, jouer avec mes victimes. Ma propre collection de jeux n'est faite que de chair et de sang." Il lève sa cape et la laisse retomber doucement sur votre visage, comme un linceul masquant à jamais les yeux des morts. "Tu as vu la fin" murmure-t-il à votre oreille "maintenant laisse-moi te conduire à Castlevania." Et une douleur intense traverse votre cou, lorsque deux pointes de glace s'enfonce dans votre chair et que le feu ardent qui vous anime quitte votre corps pour s'écouler dans la gorge de Dracula.

le 7 avril 2006
par sanjuro



Jeu testé en version française
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